Pour caractériser le développement de l'olivier autour des lacs collinaires en Tunisie, nous avons procédé en trois temps.
D'abord, vu le nombre élevé des lacs (vers les 500) éparpillés sur presque la moitié de la superficie du pays, nous avons choisi comme objet d'étude le gouvernorat de Siliana pour les raisons suivantes :
- dotation du plus grand nombre de lacs prévus (12 %) dans la stratégie CES ;
- situation centrale par rapport aux autres gouvernorats accueillant les retenues collinaires ;
- l'olivier est une plantation de tradition dans tous les endroits collinaires ;
- enfin, l'existence d'une banque de données importantes concernant les lacs collinaires.
Dans un deuxième temps, nous avons recensé et classé tous les lacs du gouvernorat choisi en fonction de la superficie de l'olivier plantée ou existante autour de ces aménagements.
Enfin, nous avons essayé d'analyser les situations typées afin de retracer les trajectoires d'évolution des systèmes de production, dont l'olivier est une composante dominante, autour des lacs collinaires.
Jusqu'en 1990, de petites retenues en majorité totalement sédimentées
Dans le gouvernorat de Siliana et jusqu'en octobre 1998, le nombre de lacs réalisés a été évalué à 97 dont 13 ont été construits en 1967-1968, 17 entre 1987 et 1989 et 11 en 1990, début de la stratégie nationale de conservation des eaux et des sols (tableau II).
C'est à la fin des années 60 que l'on s'est intéressé aux lacs collinaires. On imaginait déjà pouvoir maîtriser les flux hydriques de surface en agissant directement à l'amont comme sur le Haut Merguellil où une quarantaine de lacs collinaires7, conçus et réalisés au cours d'un programme tuniso-américain, ont vu le jour entre 1968 et le milieu des années 80. Autour des quelques sites reconnaissables, il n'existe pas d'oliviers ayant bénéficié de l'eau de ces retenues de protection.
Toujours dans une optique de protection des zones aval et de lutte générale contre l'érosion, on a continué, mais sans études préalables, la construction d'une quarantaine de lacs collinaires éparpillés sur toute la zone semi-aride du pays allant de Nabeul au nord-est jusqu'au sud de Siliana et Kairouan. En 1990, le nombre de lacs collinaires réalisés grâce aux investissements de l'État était estimé à 87 dont 47 % dans le gouvernorat de Siliana. Une soixantaine d'hectares d'oliviers ont été plantés autour des lacs de la délégation de Makthar (Saddine 1 et 2, Jannet, Haddada et Tella). Malgré le stade d'envasement avancé du lac collinaire, l'oliveraie (photo) de plus de dix ans se porte bien et donne une production importante permettant de couvrir les frais d'installation et d'entretien.
Cinquante-sept lacs collinaires caractérisés du tableau III ont servi à cette typologie.
Malgré la grande diversité des lacs collinaires, l'olivier reste la spéculation dominante des terres labourables autour de ces aménagements de collecte des eaux de ruissellement. Il occupe en moyenne 62 % des superficies irrigables.
En fonction des cinq premières variables du tableau III, nous avons distingué quatre types de lacs collinaires.
* De petits lacs entourés par un grand nombre d'exploitants
Ce groupe est composé de 14 petits lacs collinaires ne dépassant pas en moyenne une capacité théorique de 44 000 mètres cubes d'eau. En moyenne, chaque retenue est entourée d'une douzaine de bénéficiaires potentiels ayant planté ensemble 7,5 hectares d'oliviers.
Il s'agit des lacs des zones de haute altitude du sud du gouvernorat de Siliana. Ils appartiennent en majorité aux délégations de Makthar et de Kesra où la pluviométrie moyenne annuelle se situe autour de 500 mm. Le développement de l'arboriculture autour de ces petites retenues est expliqué par :
- la disponibilité de l'eau au cours des mois secs et ce malgré l'étroitesse des capacités de stockage ;
- la distribution, dans le cadre de projets de développement rural intégré, de plants d'oliviers, de noyers, de pommiers et de poiriers ;
- la situation de ces lacs dans des reliefs accidentés et difficilement accessibles empêchant l'entreprise d'activités maraîchères irriguées nécessitant une présence continue des exploitants ;
- la dynamique sociale fondée sur l'imitation du voisin. L'existence du cheptel caprin, premier ennemi de l'arboriculture des collines, est derrière cette logique paysanne. « ... Quand je plante des arbres comme le fait mon voisin, c'est qu'on se respecte l'un l'autre en gardant les plantations "collectives" contre les ovins et caprins » ;
- l'objectif « revenu » reste secondaire par rapport à l'occupation de l'espace et sa nécessaire valorisation.
* De grandes retenues pour sauvegarder des plantations existantes
Au nombre de sept, ces retenues collinaires sont de grande capacité (150 000 mètres cubes en moyenne) et sont situées pour leur majorité dans les plaines de Siliana, Bourouis et Bouarada.
Les environs des lacs sont des zones céréalières mais, le long et sur les hauts des principaux ravins alimentant le talweg principal du lac, sont plantés les oliviers soit dans le cadre de la consolidation des travaux de conservation des eaux et du sol, soit par des initiatives privées encouragées par l'administration agricole.
En moyenne, la superficie d'arbres irriguée8 à partir d'une retenue collinaire est de 12,9 ha composés de 10,6 ha d'oliviers et 2,3 ha d'amandiers et de figuiers.
Ces grandes retenues peuvent être à l'origine du développement de l'olivier, la superficie irrigable par lac s'étendant sur 25 ha, mais la vocation céréalière des sols et la tradition de l'extensif épargnant tout effort, autre que le semis et la moisson au cours de la campagne agricole, se cachent derrière la sous-exploitation des réserves d'eau. En effet, les volumes utilisés pour irriguer l'arboriculture existante ne devaient pas dépasser les 10 % des disponibilités annuelles d'eau dans les retenues9.
Développer l'olivier sur des terres d'exploitants absentéistes cultivant des céréales assez rentables reste une tâche difficilement réalisable et ne peut se faire que par l'intermédiaire d'une volonté politique, d'un soutien financier important et surtout en fonction de l'organisation des campagnes de vulgarisation et de sensibilisation de grande ampleur.
* Faible développement de l'olivier autour des lacs situés dans de grands domaines privés
Autour de ce type de lac le plus présent (35 %) dans le gouvernorat de Siliana, le nombre d'exploitants potentiels pouvant utiliser l'eau stockée ne dépasse pas en moyenne 6. Certaines retenues ne sont exploitées que par un seul propriétaire terrien10. Le développement de toute activité agricole irriguée est fonction de la volonté et de la stratégie individuelle de l'exploitant.
L'exode rural et l'émigration des enfants ont accentué l'extensification des systèmes de production ; le phénomène s'accompagne d'un vieillissement des chefs d'exploitation, en dépit des opérations d'aménagement des terres en pente et de mobilisation des ressources menées notamment dans le cadre de la politique de CES.
Le faire-valoir indirect, empêchant toute entreprise d'activité arboricole, existe mais n'est pas très généralisé et concerne surtout la grande et la moyenne exploitation. Il s'agit souvent d'une mise en association avec des accords qui rappellent ceux du métayage. Généralement, l'associé prend en charge, en contrepartie de la terre, les travaux de préparation de la culture, labour, semis et semences compris. La moisson est négociée entre les associés. Les durées des contrats, presque toujours verbaux, portent généralement sur une année. Le renouvellement est conditionné par l'aléa climatique.
L'irrigation des cultures est encore très peu pratiquée autour de ce type de lacs et les changements remarqués au niveau des systèmes de production sont encore vulnérables. La création des ressources en eau, à partir des lacs collinaires de ce type, reste récente.
La taille des troupeaux est élevée (effectif de 15 à 60 animaux) et les superficies cultivées en céréales sont beaucoup plus importantes. Les animaux, gardés par des bergers, sont principalement nourris au moyen de résidus de récolte tels que paille et chaumes et participent aux pâturages des parcours collectifs (forêts) et privés.
Quand elle existe, l'arboriculture en sec (olivier à huile et amandier) joue un rôle tampon dans l'atténuation des effets des fluctuations climatiques. Les productions sont variables d'une année à l'autre en raison de l'alternance de la production oléicole et de l'insuffisance des opérations d'entretien des plantations. Le tableau IV indique les rendements moyens et les marges brutes à l'hectare et par pied des vergers adultes.
* L'olivier est concurrencé par les autres spéculations
Nous distinguons, en fonction de la nature de la spéculation concurrente, deux sous-groupes de lacs collinaires.
Dominance du noyer autour des lacs de Makthar
Autour des lacs de Makthar, le développement du noyer est sans précédent. La superficie moyenne de l'olivier est de 3,5 ha contre 12,5 ha de noyer.
La culture du noyer est une tradition dans la région de Makthar. L'écorce des racines du noyer (soueck) est traitée pour être vendue comme produit de beauté pour les femmes en milieu rural et encore faiblement en milieu urbain.
L'exploitation du noyer, comme la vente des moutons, peut se faire à n'importe quel moment de l'année et génère de ce fait une trésorerie permanente à l'agriculteur, lui permettant de faire face aux différentes dépenses durant toutes les périodes financièrement difficiles de l'année [10].
La valorisation agricole des lacs a permis aussi la création de petits vergers de pommiers et de poiriers. Mais le noyer et secondairement l'olivier, mieux adaptés aux conditions physiques du milieu, ont pris plus d'importance.
Les agriculteurs disposent de leurs propres pépinières de noyer. Les rentes de la culture sont de différents ordres. Une part des fruits est autoconsommée, mais la grande part est semée en pépinière pour la production de jeunes plants utilisés ou vendus. Un plant de noyer coûte environ 2 dinars tunisiens. Le produit souek, issu du traitement des écorces racinaires, est vendu soit sur place aux commerçants qui viennent s'approvisionner dans la région, soit aux marché de Makhtar, de Siliana et dans les souks de Tunis. Le prix actuel d'un kilogramme de soueck s'élève à 30 dinars tunisiens. Un arbre de noyer âgé de 8 ans peut rapporter en moyenne 5 à 7 kg de soueck.
En termes de stratégie et de prévision, les agriculteurs font en sorte qu'ils aient chaque année des noyers adultes, âgés d'au moins 6 ans, susceptibles d'être arrachés et exploités [10].
L'avenir de l'utilisation du soueck, en rapport avec le changement du mode de vie en milieu rural et la tendance générale à l'occidentalisation de la société tunisienne, est fragilisé au profit de l'olivier, meilleur substitut du noyer.
Quel est l'avenir de l'olivier autour des lacs du nord du gouvernorat ?
L'olivier est rarement présent autour de ces lacs. Les très faibles superficies exploitées en oliviers sont très anciennes et ne sont pas irriguées à partir des lacs. La tradition de la céréaliculture est difficilement influencée par l'intervention de l'État ne privilégiant pas l'amélioration de la productivité de l'exploitation agricole devant la conservation des ressources en eau et en sol.
Dans les zones où sont localisés les lacs collinaires, l'État intervient essentiellement en décideur et gestionnaire de travaux forestiers et CES. Les interventions ont toujours privilégié la conservation des ressources et la protection des grandes infrastructures hydrauliques. L'amélioration de la productivité des facteurs de production (terre, capital et travail) au sein de l'exploitation agricole n'a jamais été prioritaire .
Les initiatives d'auto-développement de l'agriculture sont restreintes à l'adaptation au risque climatique par la diversification de cultures extensives et l'introduction d'un élevage ovin assez rustique. Laissé à l'initiative des paysans, l'olivier, malgré ses avantages économiques et son rôle de protection et de conservation des sols, ne se développera pas facilement dans ces zones.
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